14e concours de nouvelles du lycée Louis-le-Grand. 2e prix, Mélissa Dubouloz, HK2, Jeudi gris. 3e prix, Guénaeël Jangaut, K1, pour Le Retour à la poussière

14e concours de nouvelles du lycée Louis-le-Grand. 2e prix, Mélissa Dubouloz, HK2, Jeudi gris. 3e prix, Guénaeël Jangaut, K1, pour Le Retour à la poussière

 

2e prix, Mélissa Dubouloz, HK2

Jeudi gris

 Elle se battait contre un ennemi sans consistance, une part d’elle-même. Elle semblait se perdre. Peut-être même qu’elle n’avait jamais réellement pris conscience de qui elle était. Ses pensées vagabondantes venaient se briser contre son impossibilité à vivre, écumant peu à peu ses espérances et souvenirs heureux, qui semblables aux vagues, allaient et venaient, sans jamais avoir la force de s’établir dans la constance. C’était un soir d’été, sa peau frissonnait au contact d’une brise sans froid. C’était le sentiment même d’exister qui provoquait cette réaction presque mécanique dans son corps qui déjà n’était plus. Ce soir-là seul son esprit semblait se déplacer avec aisance, comme s’il eût trouvé une pensée assez réconfortante pour profiter de cet instant de vie sans se diluer en mélancolie pullulante et brûlante, répandant son poison dans chaque veine de son être. Elle approcha de la berge, lentement, avec une légèreté déconcertante. Elle n’avait pas la figure d’un ange, elle n’était pas une apparition divine. Non, à elle seule elle représentait le mal de vivre, la pensée parasite, la laideur de l’intelligence humaine. Dans l’automne naissant, elle avala le contenu de sa boîte d’antidépresseurs. Elle prit soin de laisser glisser chaque comprimé sur sa langue, un par un, comme un rituel, une incantation. Puis elle s’assit, seule, minuscule, fragile, brisée, face à l’immense étendue bleue, le regard vague, distinguant difficilement dans la nuit la ligne de l’horizon. Le brouillard grandit autour d’elle, en elle, le coton doux dans lequel elle avait plongé ses émotions et pensées était doux amer. Alors lentement, dans un dernier effort de réflexion, elle se dit que peut-être, la beauté n’était pas plus dans la mort que dans le sentiment long et douloureux de ne plus se sentir vivre. Se délectant de cette dernière esquisse, elle se hissa, pour mieux se laisser tomber dans l’eau sombre. Elle succomba à la tentation de sentir une fois de plus l’eau salée au contact de sa peau. C’est dans cette pénombre estivale qu’elle s’en alla, bercée par les vagues, à la puissance délicate.

 

-Est-ce que vous vous définiriez comme une personne en proie à la mélancolie ? Pensez-vous être déprimée ?

-Oui et non.

Je sais pas trop. J’avais pas trop d’avis pour une fois. C’est étrange. Parce que moi j’avais toujours un avis sur tout. Enfin bon, la vérité était quand même bien là. Collante, narquoise mais pourtant limpide. Il ne s’était pas passé grand chose, et puis moi j’avais rien accompli mais j’ai tout raconté, parce que au fond j’avais rien d’autre à faire. Voilà c’est ça ! En fait j’avais jamais rien eu à dire, au fond j’avais peut-être juste eu trop peur de me taire.

Alors j’ai raconté. Un peu de tout, j’avais pas vraiment fait de tri. Les peines, les amours, les colères. Des choses plus ou moins graves. Beaucoup d’inutilité. Quelques faits intéressants. Et puis de toute façon quand on a peur du silence, faut bien trouver quelque chose à dire. C’est le problème. Quand l’esprit se tait pas, on trouve un moyen de se débarrasser du barda informe qui compose l’âme. Moi mon âme j’en voulais pas de toute façon. C’est encombrant tous ces sentiments. Et puis le docteur de la tête a dit que c’était pas bon de vivre dans sa tête. Qu’il fallait parler. Sinon on allait mal. Pourtant moi je fais que ça parler, mais je vais pas mieux qu’un autre. En fait, il a même dit que c’était urgent parce que moi, malade, je l’étais. Mais c’est une histoire spéciale. Parce que je cherche pas à aller mieux. Déjà, j’ai pas le cancer et puis moi c’est juste ma tête qui débloque. J’ai passé tout un tas de test qui ont tous dit que j’étais en bonne santé. Alors la vie a continué, moi dans ma tête, les autres dans la vraie vie qu’ils disent. Une belle connerie en somme. La vérité c’est que c’est plus simple dans ma tête. Même si tout le monde dit que c’est trop compliqué. Que c’est elle qui finira par me tuer. D’abord dans ma tête y’a que moi. Et ça, ça enlève pas mal de problèmes. Les autres c’est plus dur. Parce qu’ils sont eux et que moi je suis moi. Que se comprendre ça aussi c’est dur. Et que dans le monde du dehors, les autres y’a que ça. Dans les rues. Les cafés. Les cinémas. Ils sont toujours là les autres. Alors si on les comprend pas, on a le mal de vivre.

Donc voilà, c’est comme ça que ça s’est passé. Ils ont d’abord cru que j’avais le mal du dehors. Puis le mal des autres. Après j’ai changé de docteur. Le nouveau docteur il est pas d’accord avec les autres. Il est d’accord avec personne. Ça nous fait un point commun avec le nouveau branquignol. Il dit qu’il se fera son propre avis, tout seul. C’est bien il va réussir à mettre à profit ses longues études comme un grand. Moi le nouveau docteur il me plaisait plutôt bien. Pour lui j’ai le mal de moi. Il est marrant le grand dadais, j’le règle comment moi mon problème ? On me l’avait encore jamais faite celle-là. J’ai pas trop aimé d’ailleurs. Et puis d’abord le problème c’est pas moi c’est les autres. Au final, je l’aimais plus tant que ça ce docteur.

 

Moi j’attendais quelque chose, sans vraiment trop savoir quoi. C’est comme ça, j’ai pas toutes les réponses. Le temps passe et j’ai l’impression de perdre le mien. Mais je fais rien pour y remédier. En fait je vois pas ce que je gagnerais à faire des efforts pour aller mieux. Moi j’aimerais qu’on me sauve ; qu’un événement se passe, qu’il y ait du changement, un grand grabuge annonçant la nouveauté et son euphorie, toujours passagère.

Une part de moi sait déjà que la vie n’a rien d’un film, que le hasard n’existe pas et qu’il n’est pas d’heureuse coïncidence. Mais l’autre continue d’espérer, dans toute sa naïveté enfantine. Parfois, la nuit, en rêves saccadés, il m’apparaît de ces fantaisies de bonheur plein, débordant de tous cotés. Mais le réveil, lui, est d’une récurrence amère et entêtante. Dehors le monde est terne. Ou alors c’est peut-être moi. Probablement. J’ai cette fâcheuse tendance à universaliser ma pensée, aussi médiocre soit-elle. Parce que je suis égocentrique ou totalement seule et démunie ? Au fond ça ne fait pas la moindre différence. Mon monde à moi il est dégueulasse, je le vomis et les gens avec, surtout les gens en fait. Je vaux pas mieux qu’eux mais qu’importe, mon mépris m’appartiens et je le place bien où j’en ai envie. Je me suis levée ce matin. Il était 14h. Il fait toujours gris. J’ai pris un bouquin. Je l’ai terminé. J’en ai pris un autre. J’ai rien de mieux à faire. Il a fallu manger. J’avais pas faim. Enfin si mais j’avais la flemme. Donc j’avais plus faim. J’ai regardé la boite d’antidépresseur prescrits par le foutu médecin de garde de l’hôpital merdique qui tombe en ruine. Comme tout le reste. Rien n’échappe à la destruction permanente de mon esprit. J’ai déplié la notice. J’aurais pu m’en faire un putain de manteau. Effets secondaires. Dépression. J’ai ri comme une conne. J’en ai pas pris. Ça m’avait déprimé tout ce bordel. Paradoxal. Je sais. M’en fous, je dois rien à personne. Surtout pas le bon sens. Des vagues à l’âme qu’il avait dit le docteur. Ça m’a emmerdé d’y penser. Alors j’ai allumé la télé. Y’a plus rien à la télé. Je fais partie de ces snobs rabat-joie qui pensent que c’était mieux avant. Je regarde plus qu’ARTE. C’est prétentieux. Comme moi. J’aime bien. J’ai fumé une clope. Puis une deuxième. Après j’ai arrêté de compter. Il était 20h. J’avais rien fait de ma journée. Il faisait encore jour. C’est ça le truc bien avec l’été. Les journées sont interminables. On en vit quatre en une. Et si on fait bien attention, la vie parait presque plus supportable. Je me suis dit que je pourrais sortir faire un tour. J’avais pas encore tranché sur les médocs. Je les ai foutus dans mon sac. J’ai enfilé un short large et un débardeur blanc. Mes cheveux en chignons et mes requins aux pieds je suis sortie. L’air chaud et étouffant de Marseille m’a enveloppée.

 

C’est grand une ville quand on est seul. C’est sans filet. Le grand saut on m’avait dit. Encore un préconçu sociétal à la con. La vie n’a plus de promesses. Je stagne. J’habite à la mer et je patauge. La voilà ma réalité de l’indépendance. Je pense trop. Je m’auto-fatigue à la longue. Quelle merde d’être comme ça. J’ai enfilé mon casque. Que les voix se taisent, c’était tout. Les premières notes de In Rainbows ont résonné. Il me fallait de la vraie musique. J’ai remercié le ciel pour Radiohead. J’y ai repensé. Je crois pas en Dieu. Pas grand intérêt. J’ai marmonné deux trois trucs sur la connerie de la foi. J’ai fait un doigt au ciel. Pas de raison particulière. Mais il fallait bien trouver un responsable à mon état. Alors j’ai tranché pour l’invisible. Plus simple. J’ai déambulé sans but pendant plusieurs heures au milieu des immeubles du Panier. Quand je m’en suis rendu compte il faisait déjà nuit. Je voulais voir la mer. C’est apaisant. J’aime croire qu’elle et moi on se ressemble. Déconstruites. Un amas de possibilités. Une profondeur indéterminée. Une forme de vie sans notice. Les gens comprennent pas. Ils comprennent rien. Ils font semblant et sont satisfaits d’eux mêmes. Moi j’admets que je comprends foutrement rien à ce qui m’arrive. Je laisse couler. Ou alors c’est moi qui coule. Pas de différence. Arrivée devant tout ce bleu, seule, je me suis demandé pourquoi j’étais si en colère contre tout et tout le monde. J’ai pas trouvé la réponse mais j’ai continué de trouver ça légitime. Moi j’ai qu’elle pour me tenir compagnie. Et puis si je déteste les autres, je me haïrai peut-être moins. Ce que j’ai oublié de mentionner c’est que j’ai bien une différence avec la mer. Elle est vaste et moi je suis à l’étroit en moi-même. Bloquée dans une putain de boite crânienne antagoniste. Pas d’horizon. Pas de futur. Y’en a pas pour les comme moi. Ou alors n’ai-je pas de semblable ? Peut-être que la solitude m’a tellement bouffée de l’intérieur que je sais même plus comment vivre ? Pas de réponse. J’ai sorti les médocs. J’ai pas pleuré. Pas nécessaire. J’étais guérie.


3e prix, Guénaeël Jangaut, K1, pour Le Retour à la poussière

            Un courant d’air dans l’obscurité, cherchant à le traîner hors de son mausolée, en plein air, à la lumière, le réduire dans la mer, en poussière.

            Un courant d’air dans l’obscurité. Ce crétin de majordome avait oublié de sceller la porte d’entrée et voilà dix mille ans que cela durait… Bien sûr qu’il n’allait pas choper la crève  ! mais il craignait que la plèbe ne vienne le déranger. Il a raison de s’en inquiéter, dans la galerie, sous des toiles sans araignées, on les entend se tortiller, répugnants sur le carrelage. Eux, ils ont traversé le désert, leur ombre défilant sous les étoiles. Et les voilà comparaissant soudain devant lui.

“Plastikhenât, nous sommes venus admirer ta majesté, non pour la blâmer. Nous ne voulons pas te causer de dommages, seulement te rendre hommage. Non, aucun profanateur ne vient troubler ton sommeil, seulement d’humbles visiteurs, Gascaride, Melchiombric et Balthicot, rois du forage, que ton fumet en ces lieux appâta. Nous qui n’avions pour seule ambition que la sape, le trou, la galerie, nous nous inclinons devant tes puits.” Et en effet, ils n’étaient que trois, à l’exception de leur cortège, grande famille de vermisseaux, dont la peau ensablée de grumeaux ne seyait pas de paraître devant un si grand roi. S’étant approché du gisant, leur syndicat reprend:

            “Dire que cet édifice qui nous fait tant d'impression, n’est qu’un simulacre de ta dimension. Ô pyramide céleste  ! accepte notre requête, qui est de te visiter tout entier. Aux colonnes qui soutiennent ton trône, nous préférons celle qui trône sous ta couronne; à ton palais garni d’or et de diamants, ton palais garnis d’aphtes et de dents: plutôt ton corps que ton trésor  ! Ô Plastikhenât, laisse en ta grandeur pénétrer tes admirateurs.”

Mais Plastikhenât, sous ses bandelettes de latex, ne les craignait point, quand bien même son lit devrait être un buffet, et lui le plat de résistance. Il méprisait toutes ces viscères affamées à ses pieds. Il était immortel et comptait bien le rester. Il leva son doigt, fit la moue, et prononça son décret: “Immortel, je me trouve sans chair dans le trépas; les vers mourront dans le désert faute de repas.” C’était sa façon à lui, de refuser l’hospitalité. Mais les vers avaient aussi leur façon de maudire sa vanité: “Les vents assoiffés du désert, ta cour de poussière, les bains refusés à ton impossible nudité, ont ton cœur asséché. Un seul de nos baisers t'aurait désaltéré. Mais ne crois pas que le plastique résiste pour toujours aux baisers du lombric.”

 

            Ce n’était pas la première fois qu’il les rencontrait. Déjà du temps où Plastikhenât était le roi du plastique au Moyen-Orient, il voyait la vermine bosser dans ses locaux, au milieu de ses machines, quémandant du boulot. Les autres prolétaires foraient dans son désert, creusant ainsi le sol pour chercher son pétrole. Son usine infestée lui donnait des hauts-le-corps: il aurait préféré faire du plastique seul, et ne rien leur laisser, élever lui-même ses propres héritiers.

            Mais dans son bureau illuminé, surplombant la vallée, il vit un jour  par-dessus son plafond de verre un volatile aux ailes atrophiées flotter dans les airs. Piteusement ballotté, retourné, cahoté, n'atterrissant jamais, c’était l’un de ses sachets. Lui, patron, surplombé de plastique  ! Qu'un infirme domine, voilà de quoi s'amuser  ! Il en admira, rassuré, la pureté, ayant l’assurance que ne pouvant se livrer à l’anale réjouissance, le sachet d’une fiente ne l'honorerait. L'étron ne peut lui-même s’étronner, l'œuf ne pond pas plus que la poule éclot: le sachet ne fait que s’acheter.

Après tout, il lui était inutile d’enfanter  : ni la terre, ni les airs, ni la mer ne lui prohibent la place. Voyez ces conquistadors de demain ! Successeurs des hommes, ils élèveront des cités, plus loin que notre bipédie, feront de l'univers leur patrie. Sans défaut, sans félonie, ils étaient la perfection. Sommet de la création, ils ne sauront ce qu’est la disparition.

Poète, cesse de dédier tes vers à l'univers : il ne sait point lire ! Offre-lui du plastique, cela seul ne se perd, cela seul lui sert ! Produit plastique à profusion pour propulser ta création. La vie éternelle n'est pas au paradis, elle n'est pas, pharaon, dans ta pyramide ! La vie éternelle c'est la chirurgie plastique : fais-toi plastique si tu souhaites durer!   Gonfle ta chair de silicone, qu'elle ballonne, qu'elle roule, qu'elle rebondisse  ! L'éternel te veut empaillé, caoutchouteux, et ton cerveau, doublement plastique ! Momifié, on dessèche  ; plastifié, on transgresse, on traverse, on renverse. Fais-toi maître du temps, trône sur un impérissable séant ! Alors seulement, débarrassé de ta matière organique, ni le vent, ni l'océan, ne ravageront tes apparences. Inébranlable te voici, indifférent aux galaxies.

Et à partir de ce jour, et de cette apparition, il devint Plastikhenât. Le styrène était sa reine  : ils s’empressèrent d'enfanter. Il ne fut plus question d’humanité, le ver prolétaire n’était plus de cette ère: on augmenta les cadences, les tapis s’emballaient, à leur sortie le pétrole prenait son envol dans l'éternité. Et tandis que l’éternel en son usine advenait, le temps se précipitait. Il était temps d'enterrer l'histoire, qui rampait encore à l'ombre des mémoires.

On ne voyait plus mourir sa vieille mère, on ne voyait plus partir ses enfants, mais on vieillissait incontestablement, on n'avait plus le temps d'être enfant, d'aimer ne serait-ce quelques temps. Ne restaient que les cicatrices.

Le prolétaire trop vite centenaire, se laissait mourir, sous le yeux du patron, la barbe au menton, tandis que les femmes accouchaient, sans sages-femmes, à leur poste, sans que l'on ne leur porte de toast, que l'enfant enchaîné à sa maman, le cordon au bedon, sans que sa prison ne nécessitât de maton, reprenait la profession des absents aux bataillons. Et le chevalet de pompage, suçait aux sous-sols l'ancestral cépage. Tout ce qui fut de biologique, converti au plastique.

Le jour et la nuit s'étaient faits tous petits. Lui fit à son usine tout plein de petits. La cadence de l’industrie débordait sur la vie, condamnée à l'insomnie, privée des lentes heures où au sommeil l'on se laisse dériver. Les cheminées, de sacs débordaient. Les travailleurs se démenaient en avance rapide. Une coulée d’emballage forma un rapide. Mais un tuyau fuyait, et bientôt, ce fut l'usine qui prit l'eau. Du plastique jusqu'aux hanches, les ouvriers travaillaient toujours. Certains s'étouffaient, pris dans la masse, d'autres étaient emportés par une nuée vorace. Passaient au-dessus des continents des nuages menaçants.

Et le désert devint les dunes d'un nouvel océan. Son armée pénétra les vallées et les villes les océans, les îles, dans les cieux et l'estomac. Il y avait des méduses à deux anses en milieu aquatique. Il y avait des latex amphibiens, qui se vautraient dans le limon des tropiques. Et d'autres en Arctique, glissant au milieu des pingouins qui s'y prenaient les pattes. Mais partout, ils étaient ses anges, ses chers petits anges. L'humanité dans des bunkers s'enfermait quand, touchant au zénith, le peuple sacré partit pour les étoiles.

Et Plastikhenât, admirait sous ce plafond de verre les contrées atteintes par son don à l'univers, quand son dernier ouvrier périt, faute d'air, dans l'océan enfanté. L'usine épousée, désormais stérile, lui, voyant s'approcher l'âge sénile, en accéléré, il comprit qu'il était temps de se joindre à ses bébés. Tandis qu'on achevait, dans un dernier souffle sa pyramide d'acier et de verre, au milieu du désert, lui, s'injectait le pétrole qui devait le préserver. Enfin, son majordome plaça sa momie dans ce mausolée, où il végétait entre vie et trépas. Le temps était bon à jeter.

Mais l'histoire murmurait toujours. Et quelque part, dans un sous-sol, là-bas, que l'on ne remarque pas, l'humanité était toujours là. Elle avait certes un peu changé, des millénaire l'avaient amputée ici et là, d'une bouche, d'un œil, d'un bras, d'un nez et de ses vingt doigts. Manchot, Cul-de-jatte, l'humanité, nue, persistait toujours, creusant ses galeries, à l’abri du plastique, ne sachant que faire de sa faim. Et voilà l'homme rampant, devant Plastikhenât, peuple de nains face à un colosse millénaire. Le voilà qui lui hurle  : «  Réveille-toi vaurien  ! Ton rêve d'éternel prend fin. Il faut te rendre à l'univers et son flot de poussière  !

        Non  ! Je ne veux plus être l'étranger, laissez- moi rêver  ! Je vous ferai une place quelque quelque part dans ma carcasse, hors de ce monde abhorré.  »

            Mais les vers, salivaient déjà, et dans l'acide, la pièce se mit à baigner. Le lit du gisant, rongé, s'affaissait, mettant la momie à leur portée. La voilà aussitôt peuplée de lombrics, substituant leur chair au plastique, articulant ces membres autrefois plastifiés. Et aussi bien qu'ils le purent, ils la firent rouler, ramper, puis marcher somnambule, la tirant jusqu'au vestibule. Alors que les premiers rayons d'un soleil lointain, tombaient sur le désert, ils lui forcèrent à ouvrir ses paupières. Ils étaient partout, se livrant au déboire de la salive acidulée. Un carnage d'emballage. Ses enfants assassinés. Les sachets qui atterrissaient dérivaient alourdis, englués, pris au piège, digérés. Ceux qui purent s'exiler, partirent à l'intersidéral. Quant aux autres, agonisant, ils libéraient enfin leur composant, quittant l'éther pour la terre et ses faméliques êtres embryonnaires. Il y a toujours un moment où la marée redescend, où tout ce qui se crut grand, formé au gré du vent, est balayé par une bourrasque.

            Des chrysanthèmes poussaient dans le désert. Le monde reprenait, sous les yeux plaintifs de Plastikhenât, qui se voyait échoué, traîné hors de son mausolée, en plein air, à la lumière dans cet univers qui n'était plus sa chimère. Il n'y aurait plus de plastique.

            Sa dépouille fut conduite à l'air marin, et jetée dans la mer au petit matin. Le lendemain, il ne fut plus que poussière.            Un courant d’air dans l’obscurité, cherchant à le traîner hors de son mausolée, en plein air, à la lumière, le réduire dans la mer, en poussière.

            Un courant d’air dans l’obscurité. Ce crétin de majordome avait oublié de sceller la porte d’entrée et voilà dix mille ans que cela durait… Bien sûr qu’il n’allait pas choper la crève  ! mais il craignait que la plèbe ne vienne le déranger. Il a raison de s’en inquiéter, dans la galerie, sous des toiles sans araignées, on les entend se tortiller, répugnants sur le carrelage. Eux, ils ont traversé le désert, leur ombre défilant sous les étoiles. Et les voilà comparaissant soudain devant lui.

“Plastikhenât, nous sommes venus admirer ta majesté, non pour la blâmer. Nous ne voulons pas te causer de dommages, seulement te rendre hommage. Non, aucun profanateur ne vient troubler ton sommeil, seulement d’humbles visiteurs, Gascaride, Melchiombric et Balthicot, rois du forage, que ton fumet en ces lieux appâta. Nous qui n’avions pour seule ambition que la sape, le trou, la galerie, nous nous inclinons devant tes puits.” Et en effet, ils n’étaient que trois, à l’exception de leur cortège, grande famille de vermisseaux, dont la peau ensablée de grumeaux ne seyait pas de paraître devant un si grand roi. S’étant approché du gisant, leur syndicat reprend:

            “Dire que cet édifice qui nous fait tant d'impression, n’est qu’un simulacre de ta dimension. Ô pyramide céleste  ! accepte notre requête, qui est de te visiter tout entier. Aux colonnes qui soutiennent ton trône, nous préférons celle qui trône sous ta couronne; à ton palais garni d’or et de diamants, ton palais garnis d’aphtes et de dents: plutôt ton corps que ton trésor  ! Ô Plastikhenât, laisse en ta grandeur pénétrer tes admirateurs.”

Mais Plastikhenât, sous ses bandelettes de latex, ne les craignait point, quand bien même son lit devrait être un buffet, et lui le plat de résistance. Il méprisait toutes ces viscères affamées à ses pieds. Il était immortel et comptait bien le rester. Il leva son doigt, fit la moue, et prononça son décret: “Immortel, je me trouve sans chair dans le trépas; les vers mourront dans le désert faute de repas.” C’était sa façon à lui, de refuser l’hospitalité. Mais les vers avaient aussi leur façon de maudire sa vanité: “Les vents assoiffés du désert, ta cour de poussière, les bains refusés à ton impossible nudité, ont ton cœur asséché. Un seul de nos baisers t'aurait désaltéré. Mais ne crois pas que le plastique résiste pour toujours aux baisers du lombric.”

 

            Ce n’était pas la première fois qu’il les rencontrait. Déjà du temps où Plastikhenât était le roi du plastique au Moyen-Orient, il voyait la vermine bosser dans ses locaux, au milieu de ses machines, quémandant du boulot. Les autres prolétaires foraient dans son désert, creusant ainsi le sol pour chercher son pétrole. Son usine infestée lui donnait des hauts-le-corps: il aurait préféré faire du plastique seul, et ne rien leur laisser, élever lui-même ses propres héritiers.

            Mais dans son bureau illuminé, surplombant la vallée, il vit un jour  par-dessus son plafond de verre un volatile aux ailes atrophiées flotter dans les airs. Piteusement ballotté, retourné, cahoté, n'atterrissant jamais, c’était l’un de ses sachets. Lui, patron, surplombé de plastique  ! Qu'un infirme domine, voilà de quoi s'amuser  ! Il en admira, rassuré, la pureté, ayant l’assurance que ne pouvant se livrer à l’anale réjouissance, le sachet d’une fiente ne l'honorerait. L'étron ne peut lui-même s’étronner, l'œuf ne pond pas plus que la poule éclot: le sachet ne fait que s’acheter.

Après tout, il lui était inutile d’enfanter  : ni la terre, ni les airs, ni la mer ne lui prohibent la place. Voyez ces conquistadors de demain ! Successeurs des hommes, ils élèveront des cités, plus loin que notre bipédie, feront de l'univers leur patrie. Sans défaut, sans félonie, ils étaient la perfection. Sommet de la création, ils ne sauront ce qu’est la disparition.

Poète, cesse de dédier tes vers à l'univers : il ne sait point lire ! Offre-lui du plastique, cela seul ne se perd, cela seul lui sert ! Produit plastique à profusion pour propulser ta création. La vie éternelle n'est pas au paradis, elle n'est pas, pharaon, dans ta pyramide ! La vie éternelle c'est la chirurgie plastique : fais-toi plastique si tu souhaites durer!   Gonfle ta chair de silicone, qu'elle ballonne, qu'elle roule, qu'elle rebondisse  ! L'éternel te veut empaillé, caoutchouteux, et ton cerveau, doublement plastique ! Momifié, on dessèche  ; plastifié, on transgresse, on traverse, on renverse. Fais-toi maître du temps, trône sur un impérissable séant ! Alors seulement, débarrassé de ta matière organique, ni le vent, ni l'océan, ne ravageront tes apparences. Inébranlable te voici, indifférent aux galaxies.

Et à partir de ce jour, et de cette apparition, il devint Plastikhenât. Le styrène était sa reine  : ils s’empressèrent d'enfanter. Il ne fut plus question d’humanité, le ver prolétaire n’était plus de cette ère: on augmenta les cadences, les tapis s’emballaient, à leur sortie le pétrole prenait son envol dans l'éternité. Et tandis que l’éternel en son usine advenait, le temps se précipitait. Il était temps d'enterrer l'histoire, qui rampait encore à l'ombre des mémoires.

On ne voyait plus mourir sa vieille mère, on ne voyait plus partir ses enfants, mais on vieillissait incontestablement, on n'avait plus le temps d'être enfant, d'aimer ne serait-ce quelques temps. Ne restaient que les cicatrices.

Le prolétaire trop vite centenaire, se laissait mourir, sous le yeux du patron, la barbe au menton, tandis que les femmes accouchaient, sans sages-femmes, à leur poste, sans que l'on ne leur porte de toast, que l'enfant enchaîné à sa maman, le cordon au bedon, sans que sa prison ne nécessitât de maton, reprenait la profession des absents aux bataillons. Et le chevalet de pompage, suçait aux sous-sols l'ancestral cépage. Tout ce qui fut de biologique, converti au plastique.

Le jour et la nuit s'étaient faits tous petits. Lui fit à son usine tout plein de petits. La cadence de l’industrie débordait sur la vie, condamnée à l'insomnie, privée des lentes heures où au sommeil l'on se laisse dériver. Les cheminées, de sacs débordaient. Les travailleurs se démenaient en avance rapide. Une coulée d’emballage forma un rapide. Mais un tuyau fuyait, et bientôt, ce fut l'usine qui prit l'eau. Du plastique jusqu'aux hanches, les ouvriers travaillaient toujours. Certains s'étouffaient, pris dans la masse, d'autres étaient emportés par une nuée vorace. Passaient au-dessus des continents des nuages menaçants.

Et le désert devint les dunes d'un nouvel océan. Son armée pénétra les vallées et les villes les océans, les îles, dans les cieux et l'estomac. Il y avait des méduses à deux anses en milieu aquatique. Il y avait des latex amphibiens, qui se vautraient dans le limon des tropiques. Et d'autres en Arctique, glissant au milieu des pingouins qui s'y prenaient les pattes. Mais partout, ils étaient ses anges, ses chers petits anges. L'humanité dans des bunkers s'enfermait quand, touchant au zénith, le peuple sacré partit pour les étoiles.

Et Plastikhenât, admirait sous ce plafond de verre les contrées atteintes par son don à l'univers, quand son dernier ouvrier périt, faute d'air, dans l'océan enfanté. L'usine épousée, désormais stérile, lui, voyant s'approcher l'âge sénile, en accéléré, il comprit qu'il était temps de se joindre à ses bébés. Tandis qu'on achevait, dans un dernier souffle sa pyramide d'acier et de verre, au milieu du désert, lui, s'injectait le pétrole qui devait le préserver. Enfin, son majordome plaça sa momie dans ce mausolée, où il végétait entre vie et trépas. Le temps était bon à jeter.

Mais l'histoire murmurait toujours. Et quelque part, dans un sous-sol, là-bas, que l'on ne remarque pas, l'humanité était toujours là. Elle avait certes un peu changé, des millénaire l'avaient amputée ici et là, d'une bouche, d'un œil, d'un bras, d'un nez et de ses vingt doigts. Manchot, Cul-de-jatte, l'humanité, nue, persistait toujours, creusant ses galeries, à l’abri du plastique, ne sachant que faire de sa faim. Et voilà l'homme rampant, devant Plastikhenât, peuple de nains face à un colosse millénaire. Le voilà qui lui hurle  : «  Réveille-toi vaurien  ! Ton rêve d'éternel prend fin. Il faut te rendre à l'univers et son flot de poussière  !

        Non  ! Je ne veux plus être l'étranger, laissez- moi rêver  ! Je vous ferai une place quelque quelque part dans ma carcasse, hors de ce monde abhorré.  »

            Mais les vers, salivaient déjà, et dans l'acide, la pièce se mit à baigner. Le lit du gisant, rongé, s'affaissait, mettant la momie à leur portée. La voilà aussitôt peuplée de lombrics, substituant leur chair au plastique, articulant ces membres autrefois plastifiés. Et aussi bien qu'ils le purent, ils la firent rouler, ramper, puis marcher somnambule, la tirant jusqu'au vestibule. Alors que les premiers rayons d'un soleil lointain, tombaient sur le désert, ils lui forcèrent à ouvrir ses paupières. Ils étaient partout, se livrant au déboire de la salive acidulée. Un carnage d'emballage. Ses enfants assassinés. Les sachets qui atterrissaient dérivaient alourdis, englués, pris au piège, digérés. Ceux qui purent s'exiler, partirent à l'intersidéral. Quant aux autres, agonisant, ils libéraient enfin leur composant, quittant l'éther pour la terre et ses faméliques êtres embryonnaires. Il y a toujours un moment où la marée redescend, où tout ce qui se crut grand, formé au gré du vent, est balayé par une bourrasque.

            Des chrysanthèmes poussaient dans le désert. Le monde reprenait, sous les yeux plaintifs de Plastikhenât, qui se voyait échoué, traîné hors de son mausolée, en plein air, à la lumière dans cet univers qui n'était plus sa chimère. Il n'y aurait plus de plastique.

            Sa dépouille fut conduite à l'air marin, et jetée dans la mer au petit matin. Le lendemain, il ne fut plus que poussière.


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