Concours inter-lycées, catégorie CPGE, 1er prix ex aequo Sous les jupes des garçons, Maxime Pettinaroli, HK2, LLG
Concours interne LLG, catégorie CPGE, 1er prix, Le tisserand de Faune, Judith Benkimoun, HK2
Sous les jupes des garçons, Maxime Pettinaroli.
Les rayons du soleil ne traversèrent pas
encore les rideaux de sa chambre, qu’Antoine
était déjà en nage. Il avait pris la mauvaise habitude de se couvrir le corps
aussi bien en hiver que lors des lourdes vagues de chaleur du mois d’août. Son front
était marqué par ces torrents de sueur qui l’érodait de jour en jour. Mais que
dire de ce réveil, de ce dimanche qui s’annonçait déjà trop long. La
nuit avait été trop courte, les voitures ne firent que passer sous ses fenêtres
ouvertes, comme celle qui le déposa quelques heures plus tôt. L’identité du
conducteur lui était inconnue. Il préféra ne pas se rafraîchir la mémoire
lorsqu’il se passa le visage sous l’eau. Son mal de tête était déjà bien assez
intense pour ne pas y ajouter l’amertume du regret et de la honte. Il se rassit
sur son lit, alluma une cigarette.
Le temps passait. Il se plaisait dans son lit
à prendre la pose, nu, comme ces femmes qu’il observait minutieusement dans les
magazines qu’il gardait sous son lit. Bien qu’il lui eût été impossible de
creuser son corps jusqu’à cette finesse inouïe, il s’élevait dans ses draps
presque transparents, comme une statue de marbre exhibant son anatomie
délicate. Il dut cependant se raidir, reprendre une position pensive, qu’il
trouvait franchement ridicule, quand sa mère entra pour ouvrir les volets. Elle
ne remarqua même pas qu'un vieux roman pris à la hâte couvrait difficilement
son fils. Quel fumoir ! Elle en eut des hauts le cœur en entrant, mais ne dit
rien. Elle se taisait comme d’habitude. Nul dialogue ne pouvait s’imposer dans
le vacarme du silence qu’émettait leur inimitié. Un mutisme presque monastique
s’était installé durant l’année. Seules quelques remarques insignifiantes
osaient se former au creux de leurs bouches, elles ricochaient, n’étaient pas
entendues. La porte se referma. Et avec elle une occasion d’apaiser ces cœurs
souffrants.
C’était décidé, il allait foutre le camp,
loin. Loin de cette femme divorcée qui l’entraînait dans sa mort ; loin de ces
études de droit qui l’ennuyait, ce cursus-pour-faire-plaisir-à-papa. Qu’allait-il
faire d’ailleurs, lui, qui ne lui envoyait des messages que pour son
anniversaire, ? impératif qu’il avait réussi à manquer trois fois. Il voulait
rêver, il n’y avait plus de place pour l’espoir dans cette chambre. La fenêtre
qui jusque-là lui permettait de s’échapper le temps d’un regard ne suffisait
plus. Mais avant cela, il lui fallait prendre l’air. Il prétexta un déjeuner
pour sortir de ce cloître. Aucune réponse. Il entendait le grésillement de la
radio. Sans savoir où se rendre précisément, il était déterminé à errer. En
passant la porte d'entrée, il se dit que l’odeur du bouquet de l’entrée était
encore plus forte que d’habitude, comme si ces fleurs, qui commençaient à
faner, crachaient leur odeur une dernière fois avant la mort, acte désespéré de
l’essence pour survivre. Il était dehors quand cette odeur quitta enfin son
sweat-shirt, remplacée par celle d’une autre cigarette. Le paquet vide, il
fallait en racheter un. Le buraliste nonchalant qui lui en vendait était fermé.
Faute d’avoir de quoi se tuer à petit feu, il allait vivre encore un peu.
Dans sa poche une vibration. Un message de
Mathis.
« Ma copine est partie, tu peux me
rejoindre. C’était sympa hier, j’ai envie de te revoir. »
Il se rappelait enfin sa soirée. Il s’était
lassé de ce garçon qui ne savait décidément pas ce qu’il voulait. Antoine
pensait qu’il ne la quitterait jamais, il avait peur, il n'avait pas assez de
courage. Ça allait sûrement être agréable, au moins, ça ferait passer le temps.
Avant ça, il voulait encore flâner un petit peu, n’ayant pas apprécié ces deux
phrases tapées en hâte sur le clavier. Pourquoi aurait-il
dû se rendre disponible pour lui immédiatement ? Il emprunta alors toutes les
rues et les ruelles qu’il ne connaissait pas. Il allait bien attendre, il ne
fallait pas que ce soit trop facile. Le téléphone sonna trois fois, puis la
voix de Mathis. Il était content de l’entendre, il avait peur qu’il ne réponde
jamais, il avait merdé et le savait. De l’autre bout du fil, Antoine feignait d’être
insensible aux mots choisis avec attention de son interlocuteur, quoi qu'il
ressentît tout de même une sorte de joie. Sa cigarette écrasée sur le banc où
il s’était assis, il raccrocha. Il serait là vers midi. Cela lui laissait assez
de temps pour rentrer chez lui.
Le soleil brillait trop. Sa ballade devenait
ennuyante, il allait finalement rentrer assez vite. Une fois arrivé au coin de
la rue, son œil s’attacha sur l’enseigne d’une friperie, il avait l’habitude de
passer devant, mais n’avait jamais osé entrer. Sur les vitrines,
qui laissaient apparaître des silhouettes fantomatiques, voûtées, perdues dans les
bacs qui crachent des couleurs criardes, le nom de l’enseigne : Pandore, écrit
dans un vieux rose délavé par les pluies et le temps. Il entra, plus pour
profiter de la climatisation que pour se noyer dans les portants accompagnés d’une
écume de dentelle bon marché. Il passa ses doigts sur les cintres, les laissant
sentir de nouvelles matières. À se promener ainsi, rêveur, il trébucha sur un
carton disposé au milieu de l’allée. Un bout de tissu rouge, une goutte de
sang. Il ne voyait que cette tâche. Ça débordait sur le carrelage et
contrastait avec sa blancheur. Il le tira, espérant trouver un vêtement qui
serait peut-être plus léger pour passer la fin de l’été : une jupe. Était-ce
donc cela qui avait éveillé en lui cette curiosité maladive ? Il la voulait, il
en avait envie.
Après avoir balayé du regard la pièce, il
prit le vêtement. Sans payer. Sans savoir pourquoi. Il rentra en hâte chez lui,
il avait besoin d’essayer ce vêtement. Après s’être assuré que sa mère était
bien absente, partie voir une amie sans doute, il ferma le verrou de sa porte.
Nul n’était trop prudent. Nu devant le miroir, il se regarda, regarda ce corps
qui lui était étranger, qu’il n’avait jamais appris à voir et à habiter. Seul
dans les yeux d’autres garçons, il s’était vu, déformé par l’iris d’un œil
désireux, excité, ou triste. Il touchait cette bouche, ce cou, ce ventre,
progressait à tâtons sur cette peau brûlante qui devenait tout à coup
inconfortable. Il n’avait vu ce corps que déformé par des mains baladeuses,
celles qui parcouraient son corps et le sculptaient par des caresses
grossières. Jamais il n'avait pu se toucher. Il était un autre à lui-même, une
statue que ces amants avaient modifiée pour mieux l’embrasser, mieux l’abuser.
Il se retrouvait seul, face à l’étroit miroir qui se trouvait dans le coin de
sa chambre. Enfin seul après tout ce temps. Entre son reflet et lui, ce bout de
rouge qui coulait entre ses doigts.
Mais voilà que maintenant, il mettait cette
jupe, ce bout de velours rouge semblable à un pavot brûlant, enflammé par la
chaleur de ses reins. Il fondit en larmes. Ce pétale, qui recouvrait son sexe,
le faisait disparaître. Rien n’était plus beau que cette disparition, sublime
absence. Son corps ainsi suggéré devenait plus harmonieux, il n’était plus
gauche et encombré, enfin, il habitait un corps qui était le sien. En jouant
avec cet habit du bout de ses doigts innocents, en le remontant sur ses cuisses
ou le tournant avec légèreté, il réapprenait à vivre dans son corps. Il était
satisfait. Quittant la position d’un voyeur qui observe d’un œil violent son
corps, il embrassait du regard cette harmonie, ces courbes, cette couleur qui
le rendait désirable à nouveau. Les larmes cessèrent. Il se mit à rire. Cette
jupe était vraiment laide, disgracieuse. Néanmoins, il ne s’était jamais senti
mieux qu’en se voyant enfin comme il avait intimement toujours rêvé de se voir.
Il lui semblait que cette couleur était la seule chose qui avait manqué à sa
vie : un cache devant le gouffre infini de son ventre. Ce tissu rouge marquait
la fin de ce jeu. Son personnage était mort. Il vivrait. Il essayerait au
moins.
Il était bientôt midi. Il s’empressa alors de
se doucher. L’eau froide ruisselant sur sa peau lui faisait du bien. À la hâte,
il
enfila la jupe, puis un jogging par-dessus, il ne se sentait pas de sortir
comme cela, autant sortir nu, il se serait moins exposé. Il marcha quelques
minutes sous le soleil brûlant qui le faisait suer à grosses gouttes et s’essuyer
sans cesse. Il sonna à l’interphone, il n’était pas en avance, un peu trop en
retard peut-être, mais rentra. Il enleva tant bien que mal son bas dans l’ascenseur
pour laisser apparaître la jupe. Mathis lui ouvrit la porte et baissa les yeux,
il souriait à la vue de ce vêtement qui dépassait. Cela serait trop long à
expliquer. Tous deux ricanèrent en entrant dans l’appartement. En réalité,
Antoine était très content de le revoir, il l’embrassa.
« Allez ça suffit, montre-moi ce qu’il y a sous ta
jupe. »
disait Mathis en ricanant.
Ignorant totalement ce que tout ce tissu
pouvait révéler. Ignorant qu'il avait, pour la première fois, serré les hanches
d'Antoine, et qu'Antoine, lui, venait à peine de naître.
Concours interne LLG, catégorie CPGE, 1er prix, Le tisserand de Faune, Judith Benkimoun, HK2
Le Tisserand de Faune :
Aedélia
se tient sur un petit meuble de bois dans la grand chambre de l’aile nord. Elle
est montée sur la malle afin que le tisserand puisse prendre ses mesures. Le
futur roi étant réputé bon chasseur, elle a choisi, dit-elle, pour ses noces,
de lui faire honneur avec une robe tissée toute de plumes de paon blanc. On
chasse dans la région depuis plus de six mois afin de trouver son caprice. Les
enfants du royaume en rient de bon cœur et ne l’appellent plus que La Plumette.
Une fois
réunies, les servantes ont apporté le monceau de plumes dans la chambre à
coucher et les ont dispersées ça et là sur l’édredon brodé. Le tisserand est
entré, a salué la Plumette et la Plumette a courbé. Elle trône sur la malle de
bois, se regarde dans une immense glace et jette les plumes au-dessus de sa
tête. La Plumette n’est qu’une enfant, les trouvères aiment à chanter qu’elle
joue souvent avec les oiseaux.
Le
tisserand la regarde, voit les plumes sur le lit et débute immédiatement la
confection de la robe. Il coud deux plumes ensemble, les pose sur l’épaule de
la Plumette, il se réjouit, quel teint, avec ces plumes nul doute qu’elle sera radieuse pour
son seigneur. Des heures entières passent, les gens du roi
s’attroupent dans le couloir, dit-on, on n’a jamais vu autant de passion dans
la couture
d’un vêtement. Les heures avancent et les plumes s’assemblent. La
robe est prête et dans le couloir on entend les trouvères :
De plumes et de lin
La Plumette a choisi
Le bliaud par matin
Des noces du jour d’hui
Oyez Sire, mon Roy
Le conte que voici
De la Dame Aedélia
Que vous mariez ici
Du pays de Didon
Fit venir au Castel
Celui qui de son nom
Vêtit la Damoiselle
Le Tisserand de Faune
Depuis six jours déjà
Tisse, tisse le trône
Que la Plumette manda
Oyez Sire, mon Roy
Le conte que voilà
De la Dame Aedélia
Que vous marierez là
Le soir
venu, la Cour se mit à festoyer.
La chasse avait été bonne et le
buffet était noyé dans le vin et
le gibier. A mesure que le vin coulait,
les gorges riaient grassement et
les yeux se fermaient. On ne vit
Cour plus ravie regardant son suzerain accompagnée d’une si belle demoiselle.
La jeune reine avait tressé ses
cheveux avec de longs rubans comme on les portait aux noces mérovingiennes.
De sous
la table l’on pouvait voir les
immenses plumes qui balayaient
le sol. Au fur et à mesure que les convives levaient la tête ils pouvaient
observer ce monceau de plumes qui montait,
et s’élevait à n’en plus finir,
les plumes étant de plus en plus fines et de plus en plus nombreuses pour
cacher le corps de la belle élégante. Elle arborait un joli minois et saluait de la tête ses nouveaux sujets.
Et sur
cela elle savait y faire avec le roi, la Plumette. Elle buvait et riait à
chaque mot qu’il lui adressait dans
l’oreille, tant que c’en est presque indécent. Le roi enivré la regardait comme
le cerf du matin. Vint alors la
cérémonie du coucher que les jeunes époux s’empressèrent de goûter. Et l’on entendit les trouvères :
A la table du Roy
Poularde, miche brune
Les barons ripaillaient
A chacun sa chacune
Après bonne pitance
La Plumette et le Prince
Saluèrent la France
D’un souris un peu mince
Le roi
esquisse un large sourire et se jette sur sa nouvelle épouse. Il a bu et il
rit, elle rit aussi. Il voit son visage si pâle avec cet immense sourire. Il
souffle sur sa bouche en l’embrassant tellement il est ivre, son énorme bouche
l’étouffe. Il essaye de prendre dans ses mains son corps et cette immense robe
de plumes qu’il jette sur le lit. Il essaye de l’entourer de ses mains mais il
n’y arrive pas, elle est immense. La Plumette rit en voyant le roi se débattre
avec les plumes, elle soupire lasse, les yeux à demi-clos, étendue sur le lit.
Puis, sentant le roi ivre se battre avec la robe comme avec un sanglier, elle
se remet à rire.
Le roi ne
perd pas patience. Il décide d’enlever sa traîne. La fait glisser sur le sol.
Il voit alors les épaules rouges de la Plumette qui ne cesse de rire. Il
effleure l’épaule, la renifle « Vous saignez ma mie lui dit-il ».
La
Plumette n’entend pas, elle rit toujours plus fort. Le roi secoue la tête, se
frotte les yeux, hésite à mander son maître-mire mais la reine est ivre sur le
lit, il ne veut pas qu’on la voit dans cet état. Il observe son corps inquiet,
cherche d’où peut venir le sang, passe sa main sur ses épaules, et sent, là,
juste en-dessous du cou, comme une fine lanière de cuir, un fil si fin. Si fin
et si dru.
Il
s’approche, la joue presque contre le sein de la Plumette que le rire a emportée
et distingue ce fil cousu en haut des plumes, il ne comprend pas bien, il pense
que le fil tient ensemble les plumes, il essaye d’écarter le haut de la robe du
buste en passant son index entre la peau et la plume. Le doigt ne passe pas, il
ne comprend pas, il est ivre mais effrayé, il regarde de plus près et voit le
fil cousu sur le corps de sa bien-aimée. Le roi ne comprend pas, il se frotte
les yeux mais il le voit pourtant ce mince fil qui se tord, apparait et
réapparait sur la peau de la jeune femme.
Et le fil
se tord, le fil se débat et la peau résiste mais la peau saigne. Le sang teinte
le fil et sur chaque morceau de peau d’où le fil resurgit, on peut voir le
lambeau de chair qui se dessine prêt à tomber. Elle a comme des écailles juste
au-dessus du cœur mais le fil a été si bien placé, de manière si exacte, que
les écailles sont parfaites, toutes égales, comme le motif d’un vitrail. Cela
aurait pu être beau mais le sang noircit et la peau pourrit à même le corps de
la reine. Alors le roi essaye de lui arracher la robe, il tente d’enlever le
fil, elle ne rit plus que d’un rire sourd, il l’appelle mais elle ne répond
plus et son rire laisse place à un souffle lourd presque spasmodique que le roi
peine à entendre.
Le fil ne
rompt pas, la peau seule semble pourtant prête à céder mais le fil ne rompt
pas. Le roi voit les plumes et décident de les enlever une à une, il les
arrache et chaque plume, à mesure qu’il la détache des autres, se teinte de
rouge. Le roi passa la nuit à découdre la robe et à l’aube, on entendit les
trouvères :
La nuitée pour le Roy
Fût longue et agitée
Et ne pris de plaisir
Avec sa douce amie
Une fois dans la chambre
Lui souffle des mots tendres
Mais la Plumette faiblit
Puis couchée sur le lit
Le Roy sent prestement
Sur ses doigts qui la tiennent
De la Plumette le sang
Qui goutte sur la reine
Mais le sang entendez
Coulait de sous le cœur
Car les plumes brodées,
N’y furent brodées ailleurs.
Le Roy plume après plume
Défit tout le bliaud
Mais se lève la brume
N’en peut ni ho ni jo
La dernière qu’il enleva
Avec elle succomba
Et La Plumette et Plume
Sur le sol ne firent qu’une
Prenez garde Seigneur
Le Lys est plus coquet
Que Marguerite sœur
Sur le bord du bosquet
La rose n’est plus rouge
Que parce qu’elle a l’épine
Mais retirez-la-lui
S’éteindra sa poitrine
Oyez Sire, mon Roy
L’épine que voici
De la Dame Aedélia
Dont le corps ci-gît.
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