2022. Concours inter-lycées, CPGE 1er ex aequo Sous les jupes des garçons, Maxime Pettinaroli, HK2, LLG ; Concours interne CPGE, 1er prix, Le tisserand de Faune, Judith Benkimoun, HK2

Concours inter-lycées, catégorie CPGE,  1er prix ex aequo Sous les jupes des garçons,  Maxime Pettinaroli, HK2, LLG 

Concours interne LLG, catégorie CPGE, 1er prix, Le tisserand de Faune, Judith Benkimoun, HK2   


Sous les jupes des garçons,  Maxime Pettinaroli.

Les rayons du soleil ne traversèrent pas encore les rideaux de sa chambre,  qu’Antoine était déjà en nage. Il avait pris la mauvaise habitude de se couvrir le corps aussi bien en hiver que lors des lourdes vagues de chaleur du mois d’août. Son front était marqué par ces torrents de sueur qui l’érodait de jour en jour. Mais que dire de ce réveil, de ce dimanche qui s’annonçait déjà trop long. La nuit avait été trop courte, les voitures ne firent que passer sous ses fenêtres ouvertes, comme celle qui le déposa quelques heures plus tôt. L’identité du conducteur lui était inconnue. Il préféra ne pas se rafraîchir la mémoire lorsqu’il se passa le visage sous l’eau. Son mal de tête était déjà bien assez intense pour ne pas y ajouter l’amertume du regret et de la honte. Il se rassit sur son lit, alluma une cigarette.

Le temps passait. Il se plaisait dans son lit à prendre la pose, nu, comme ces femmes qu’il observait minutieusement dans les magazines qu’il gardait sous son lit. Bien qu’il lui eût été impossible de creuser son corps jusqu’à cette finesse inouïe, il s’élevait dans ses draps presque transparents, comme une statue de marbre exhibant son anatomie délicate. Il dut cependant se raidir, reprendre une position pensive, qu’il trouvait franchement ridicule, quand sa mère entra pour ouvrir les volets. Elle ne remarqua même pas qu'un vieux roman pris à la hâte couvrait difficilement son fils. Quel fumoir ! Elle en eut des hauts le cœur en entrant, mais ne dit rien. Elle se taisait comme d’habitude. Nul dialogue ne pouvait s’imposer dans le vacarme du silence qu’émettait leur inimitié. Un mutisme presque monastique s’était installé durant l’année. Seules quelques remarques insignifiantes osaient se former au creux de leurs bouches, elles ricochaient, n’étaient pas entendues. La porte se referma. Et avec elle une occasion d’apaiser ces cœurs souffrants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’était décidé, il allait foutre le camp, loin. Loin de cette femme divorcée qui l’entraînait dans sa mort ; loin de ces études de droit qui l’ennuyait, ce cursus-pour-faire-plaisir-à-papa. Qu’allait-il faire d’ailleurs, lui, qui ne lui envoyait des messages que pour son anniversaire, ? impératif qu’il avait réussi à manquer trois fois. Il voulait rêver, il n’y avait plus de place pour l’espoir dans cette chambre. La fenêtre qui jusque-là lui permettait de s’échapper le temps d’un regard ne suffisait plus. Mais avant cela, il lui fallait prendre l’air. Il prétexta un déjeuner pour sortir de ce cloître. Aucune réponse. Il entendait le grésillement de la radio. Sans savoir où se rendre précisément, il était déterminé à errer. En passant la porte d'entrée, il se dit que l’odeur du bouquet de l’entrée était encore plus forte que d’habitude, comme si ces fleurs, qui commençaient à faner, crachaient leur odeur une dernière fois avant la mort, acte désespéré de l’essence pour survivre. Il était dehors quand cette odeur quitta enfin son sweat-shirt, remplacée par celle d’une autre cigarette. Le paquet vide, il fallait en racheter un. Le buraliste nonchalant qui lui en vendait était fermé. Faute d’avoir de quoi se tuer à petit feu, il allait vivre encore un peu.

Dans sa poche une vibration. Un message de Mathis.

« Ma copine est partie, tu peux me rejoindre. C’était sympa hier, j’ai envie de te revoir. »

Il se rappelait enfin sa soirée. Il s’était lassé de ce garçon qui ne savait décidément pas ce qu’il voulait. Antoine pensait qu’il ne la quitterait jamais, il avait peur, il n'avait pas assez de courage. Ça allait sûrement être agréable, au moins, ça ferait passer le temps. Avant ça, il voulait encore flâner un petit peu, n’ayant pas apprécié ces deux phrases tapées en hâte sur le clavier. Pourquoi aurait-il dû se rendre disponible pour lui immédiatement ? Il emprunta alors toutes les rues et les ruelles qu’il ne connaissait pas. Il allait bien attendre, il ne fallait pas que ce soit trop facile. Le téléphone sonna trois fois, puis la voix de Mathis. Il était content de l’entendre, il avait peur qu’il ne réponde jamais, il avait merdé et le savait. De l’autre bout du fil, Antoine feignait d’être insensible aux mots choisis avec attention de son interlocuteur, quoi qu'il ressentît tout de même une sorte de joie. Sa cigarette écrasée sur le banc où il s’était assis, il raccrocha. Il serait là vers midi. Cela lui laissait assez de temps pour rentrer chez lui.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le soleil brillait trop. Sa ballade devenait ennuyante, il allait finalement rentrer assez vite. Une fois arrivé au coin de la rue, son œil s’attacha sur l’enseigne d’une friperie, il avait l’habitude de passer devant, mais n’avait jamais osé entrer. Sur les vitrines, qui laissaient apparaître des silhouettes fantomatiques, voûtées, perdues dans les bacs qui crachent des couleurs criardes, le nom de l’enseigne : Pandore, écrit dans un vieux rose délavé par les pluies et le temps. Il entra, plus pour profiter de la climatisation que pour se noyer dans les portants accompagnés d’une écume de dentelle bon marché. Il passa ses doigts sur les cintres, les laissant sentir de nouvelles matières. À se promener ainsi, rêveur, il trébucha sur un carton disposé au milieu de l’allée. Un bout de tissu rouge, une goutte de sang. Il ne voyait que cette tâche. Ça débordait sur le carrelage et contrastait avec sa blancheur. Il le tira, espérant trouver un vêtement qui serait peut-être plus léger pour passer la fin de l’été : une jupe. Était-ce donc cela qui avait éveillé en lui cette curiosité maladive ? Il la voulait, il en avait envie.

Après avoir balayé du regard la pièce, il prit le vêtement. Sans payer. Sans savoir pourquoi. Il rentra en hâte chez lui, il avait besoin d’essayer ce vêtement. Après s’être assuré que sa mère était bien absente, partie voir une amie sans doute, il ferma le verrou de sa porte. Nul n’était trop prudent. Nu devant le miroir, il se regarda, regarda ce corps qui lui était étranger, qu’il n’avait jamais appris à voir et à habiter. Seul dans les yeux d’autres garçons, il s’était vu, déformé par l’iris d’un œil désireux, excité, ou triste. Il touchait cette bouche, ce cou, ce ventre, progressait à tâtons sur cette peau brûlante qui devenait tout à coup inconfortable. Il n’avait vu ce corps que déformé par des mains baladeuses, celles qui parcouraient son corps et le sculptaient par des caresses grossières. Jamais il n'avait pu se toucher. Il était un autre à lui-même, une statue que ces amants avaient modifiée pour mieux l’embrasser, mieux l’abuser. Il se retrouvait seul, face à l’étroit miroir qui se trouvait dans le coin de sa chambre. Enfin seul après tout ce temps. Entre son reflet et lui, ce bout de rouge qui coulait entre ses doigts.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais voilà que maintenant, il mettait cette jupe, ce bout de velours rouge semblable à un pavot brûlant, enflammé par la chaleur de ses reins. Il fondit en larmes. Ce pétale, qui recouvrait son sexe, le faisait disparaître. Rien n’était plus beau que cette disparition, sublime absence. Son corps ainsi suggéré devenait plus harmonieux, il n’était plus gauche et encombré, enfin, il habitait un corps qui était le sien. En jouant avec cet habit du bout de ses doigts innocents, en le remontant sur ses cuisses ou le tournant avec légèreté, il réapprenait à vivre dans son corps. Il était satisfait. Quittant la position d’un voyeur qui observe d’un œil violent son corps, il embrassait du regard cette harmonie, ces courbes, cette couleur qui le rendait désirable à nouveau. Les larmes cessèrent. Il se mit à rire. Cette jupe était vraiment laide, disgracieuse. Néanmoins, il ne s’était jamais senti mieux qu’en se voyant enfin comme il avait intimement toujours rêvé de se voir. Il lui semblait que cette couleur était la seule chose qui avait manqué à sa vie : un cache devant le gouffre infini de son ventre. Ce tissu rouge marquait la fin de ce jeu. Son personnage était mort. Il vivrait. Il essayerait au moins.

Il était bientôt midi. Il s’empressa alors de se doucher. L’eau froide ruisselant sur sa peau lui faisait du bien. À la hâte, il enfila la jupe, puis un jogging par-dessus, il ne se sentait pas de sortir comme cela, autant sortir nu, il se serait moins exposé. Il marcha quelques minutes sous le soleil brûlant qui le faisait suer à grosses gouttes et s’essuyer sans cesse. Il sonna à l’interphone, il n’était pas en avance, un peu trop en retard peut-être, mais rentra. Il enleva tant bien que mal son bas dans l’ascenseur pour laisser apparaître la jupe. Mathis lui ouvrit la porte et baissa les yeux, il souriait à la vue de ce vêtement qui dépassait. Cela serait trop long à expliquer. Tous deux ricanèrent en entrant dans l’appartement. En réalité, Antoine était très content de le revoir, il l’embrassa.

« Allez  ça suffit, montre-moi ce qu’il y a sous ta jupe. » disait Mathis en ricanant.

Ignorant totalement ce que tout ce tissu pouvait révéler. Ignorant qu'il avait, pour la première fois, serré les hanches d'Antoine, et qu'Antoine, lui, venait à peine de naître.


Concours interne LLG, catégorie CPGE, 1er prix, Le tisserand de Faune, Judith Benkimoun, HK2 

Le Tisserand de Faune :

 

 

 

 

 

 

 

Aedélia se tient sur un petit meuble de bois dans la grand chambre de l’aile nord. Elle est montée sur la malle afin que le tisserand puisse prendre ses mesures. Le futur roi étant réputé bon chasseur, elle a choisi, dit-elle, pour ses noces, de lui faire honneur avec une robe tissée toute de plumes de paon blanc. On chasse dans la région depuis plus de six mois afin de trouver son caprice. Les enfants du royaume en rient de bon cœur et ne l’appellent plus que La Plumette.

 

 

Une fois réunies, les servantes ont apporté le monceau de plumes dans la chambre à coucher et les ont dispersées ça et là sur l’édredon brodé. Le tisserand est entré, a salué la Plumette et la Plumette a courbé. Elle trône sur la malle de bois, se regarde dans une immense glace et jette les plumes au-dessus de sa tête. La Plumette n’est qu’une enfant, les trouvères aiment à chanter qu’elle joue souvent avec les oiseaux.

 

 

 

Le tisserand la regarde, voit les plumes sur le lit et débute immédiatement la confection de la robe. Il coud deux plumes ensemble, les pose sur l’épaule de la Plumette, il se réjouit, quel teint, avec ces plumes nul doute qu’elle sera radieuse pour son seigneur. Des heures entières passent, les gens du roi s’attroupent dans le couloir, dit-on, on n’a jamais vu autant de passion dans la couture d’un vêtement. Les heures avancent et les plumes s’assemblent. La robe est prête et dans le couloir on entend les trouvères :

 

 

                 

De plumes et de lin

La Plumette a choisi

Le bliaud par matin

Des noces du jour d’hui

 

Oyez Sire, mon Roy

Le conte que voici

De la Dame Aedélia

Que vous mariez ici

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Du pays de Didon

Fit venir au Castel

Celui qui de son nom

Vêtit la Damoiselle

 

Le Tisserand de Faune

Depuis six jours déjà

Tisse, tisse le trône

Que la Plumette manda

 

Oyez Sire, mon Roy

Le conte que voilà

De la Dame Aedélia 

Que vous marierez là

 

 

 

 

 

Le soir venu, la Cour se mit à festoyer. La chasse avait été bonne et le buffet était noyé dans le vin et le gibier. A mesure que le vin coulait, les gorges riaient grassement et les yeux se fermaient. On ne vit Cour plus ravie regardant son suzerain accompagnée d’une si belle demoiselle. La jeune reine avait tressé ses cheveux avec de longs rubans comme on les portait aux noces mérovingiennes.

 

 

De sous la table l’on pouvait voir les immenses plumes qui balayaient le sol. Au fur et à mesure que les convives levaient la tête ils pouvaient observer ce monceau de plumes qui montait, et s’élevait à n’en plus finir, les plumes étant de plus en plus fines et de plus en plus nombreuses pour cacher le corps de la belle élégante. Elle arborait un joli minois et saluait de la tête ses nouveaux sujets.

 

 

 

Et sur cela elle savait y faire avec le roi, la Plumette. Elle buvait et riait à chaque mot qu’il lui adressait dans l’oreille, tant que c’en est presque indécent. Le roi enivré la regardait comme le cerf du matin. Vint alors la cérémonie du coucher que les jeunes époux s’empressèrent de goûter. Et l’on entendit les trouvères :

 

 

 

  

 

A la table du Roy 

Poularde, miche brune

Les barons ripaillaient

A chacun sa chacune

 

Après bonne pitance

La Plumette et le Prince

Saluèrent la France

D’un souris un peu mince

 

 

 

 

 

Le roi esquisse un large sourire et se jette sur sa nouvelle épouse. Il a bu et il rit, elle rit aussi. Il voit son visage si pâle avec cet immense sourire. Il souffle sur sa bouche en l’embrassant tellement il est ivre, son énorme bouche l’étouffe. Il essaye de prendre dans ses mains son corps et cette immense robe de plumes qu’il jette sur le lit. Il essaye de l’entourer de ses mains mais il n’y arrive pas, elle est immense. La Plumette rit en voyant le roi se débattre avec les plumes, elle soupire lasse, les yeux à demi-clos, étendue sur le lit. Puis, sentant le roi ivre se battre avec la robe comme avec un sanglier, elle se remet à rire.

 

 

 

 

Le roi ne perd pas patience. Il décide d’enlever sa traîne. La fait glisser sur le sol. Il voit alors les épaules rouges de la Plumette qui ne cesse de rire. Il effleure l’épaule, la renifle « Vous saignez ma mie lui dit-il ».

 

 

 

La Plumette n’entend pas, elle rit toujours plus fort. Le roi secoue la tête, se frotte les yeux, hésite à mander son maître-mire mais la reine est ivre sur le lit, il ne veut pas qu’on la voit dans cet état. Il observe son corps inquiet, cherche d’où peut venir le sang, passe sa main sur ses épaules, et sent, là, juste en-dessous du cou, comme une fine lanière de cuir, un fil si fin. Si fin et si dru.

 

 

 

 

  

  

  

Il s’approche, la joue presque contre le sein de la Plumette que le rire a emportée et distingue ce fil cousu en haut des plumes, il ne comprend pas bien, il pense que le fil tient ensemble les plumes, il essaye d’écarter le haut de la robe du buste en passant son index entre la peau et la plume. Le doigt ne passe pas, il ne comprend pas, il est ivre mais effrayé, il regarde de plus près et voit le fil cousu sur le corps de sa bien-aimée. Le roi ne comprend pas, il se frotte les yeux mais il le voit pourtant ce mince fil qui se tord, apparait et réapparait sur la peau de la jeune femme.

 

 

 

Et le fil se tord, le fil se débat et la peau résiste mais la peau saigne. Le sang teinte le fil et sur chaque morceau de peau d’où le fil resurgit, on peut voir le lambeau de chair qui se dessine prêt à tomber. Elle a comme des écailles juste au-dessus du cœur mais le fil a été si bien placé, de manière si exacte, que les écailles sont parfaites, toutes égales, comme le motif d’un vitrail. Cela aurait pu être beau mais le sang noircit et la peau pourrit à même le corps de la reine. Alors le roi essaye de lui arracher la robe, il tente d’enlever le fil, elle ne rit plus que d’un rire sourd, il l’appelle mais elle ne répond plus et son rire laisse place à un souffle lourd presque spasmodique que le roi peine à entendre.

 

 

 

 

Le fil ne rompt pas, la peau seule semble pourtant prête à céder mais le fil ne rompt pas. Le roi voit les plumes et décident de les enlever une à une, il les arrache et chaque plume, à mesure qu’il la détache des autres, se teinte de rouge. Le roi passa la nuit à découdre la robe et à l’aube, on entendit les trouvères : 

 

 

 

 

 

 

La nuitée pour le Roy

Fût longue et agitée

Et ne pris de plaisir

Avec sa douce amie

 

Une fois dans la chambre 

Lui souffle des mots tendres

Mais la Plumette faiblit

Puis couchée sur le lit

 

Le Roy sent prestement

Sur ses doigts qui la tiennent

De la Plumette le sang

Qui goutte sur la reine

 

Mais le sang entendez

Coulait de sous le cœur

Car les plumes brodées,

N’y furent brodées ailleurs.

 

Le Roy plume après plume

Défit tout le bliaud 

Mais se lève la brume

N’en peut ni ho ni jo

 

La dernière qu’il enleva

Avec elle succomba

Et La Plumette et Plume

Sur le sol ne firent qu’une

 

Prenez garde Seigneur

Le Lys est plus coquet

Que Marguerite sœur

Sur le bord du bosquet

 

La rose n’est plus rouge

Que parce qu’elle a l’épine

Mais retirez-la-lui

S’éteindra sa poitrine

 

Oyez Sire, mon Roy

L’épine que voici

De la Dame Aedélia

Dont le corps ci-gît.

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