14e concours de nouvelles du lycée Louis-le-Grand. 2e prix, Mélissa Dubouloz, HK2, Jeudi gris. 3e prix, Guénaeël Jangaut, K1, pour Le Retour à la poussière
2e prix, Mélissa Dubouloz, HK2
Jeudi gris
-Est-ce que vous vous définiriez
comme une personne en proie à la mélancolie ? Pensez-vous être déprimée ?
-Oui et non.
Je sais pas trop. J’avais pas
trop d’avis pour une fois. C’est étrange. Parce que moi j’avais toujours un
avis sur tout. Enfin bon, la vérité était quand même bien là. Collante,
narquoise mais pourtant limpide. Il ne s’était pas passé grand chose, et puis
moi j’avais rien accompli mais j’ai tout raconté, parce que au fond j’avais
rien d’autre à faire. Voilà c’est ça ! En fait j’avais jamais rien eu à dire,
au fond j’avais peut-être juste eu trop peur de me taire.
Alors j’ai raconté. Un peu de
tout, j’avais pas vraiment fait de tri. Les peines, les amours, les colères.
Des choses plus ou moins graves. Beaucoup d’inutilité. Quelques faits
intéressants. Et puis de toute façon quand on a peur du silence, faut bien
trouver quelque chose à dire. C’est le problème. Quand l’esprit se tait pas, on
trouve un moyen de se débarrasser du barda informe qui compose l’âme. Moi mon
âme j’en voulais pas de toute façon. C’est encombrant tous ces sentiments. Et
puis le docteur de la tête a dit que c’était pas bon de vivre dans sa tête.
Qu’il fallait parler. Sinon on allait mal. Pourtant moi je fais que ça parler,
mais je vais pas mieux qu’un autre. En fait, il a même dit que c’était urgent
parce que moi, malade, je l’étais. Mais c’est une histoire spéciale. Parce que
je cherche pas à aller mieux. Déjà, j’ai pas le cancer et puis moi c’est juste
ma tête qui débloque. J’ai passé tout un tas de test qui ont tous dit que
j’étais en bonne santé. Alors la vie a continué, moi dans ma tête, les autres
dans la vraie vie qu’ils disent. Une belle connerie en somme. La vérité c’est
que c’est plus simple dans ma tête. Même si tout le monde dit que c’est trop
compliqué. Que c’est elle qui finira par me tuer. D’abord dans ma tête y’a que
moi. Et ça, ça enlève pas mal de problèmes. Les autres c’est plus dur. Parce qu’ils
sont eux et que moi je suis moi. Que se comprendre ça aussi c’est dur. Et que
dans le monde du dehors, les autres y’a que ça. Dans les rues. Les cafés. Les
cinémas. Ils sont toujours là les autres. Alors si on les comprend pas, on a le
mal de vivre.
Donc voilà, c’est comme ça que ça
s’est passé. Ils ont d’abord cru que j’avais le mal du dehors. Puis le mal des
autres. Après j’ai changé de docteur. Le nouveau docteur il est pas d’accord
avec les autres. Il est d’accord avec personne. Ça nous fait un point commun
avec le nouveau branquignol. Il dit qu’il se fera son propre avis, tout seul.
C’est bien il va réussir à mettre à profit ses longues études comme un grand.
Moi le nouveau docteur il me plaisait plutôt bien. Pour lui j’ai le mal de moi.
Il est marrant le grand dadais, j’le règle comment moi mon problème ? On me
l’avait encore jamais faite celle-là. J’ai pas trop aimé d’ailleurs. Et puis
d’abord le problème c’est pas moi c’est les autres. Au final, je l’aimais plus
tant que ça ce docteur.
Moi j’attendais quelque chose,
sans vraiment trop savoir quoi. C’est comme ça, j’ai pas toutes les réponses.
Le temps passe et j’ai l’impression de perdre le mien. Mais je fais rien pour y
remédier. En fait je vois pas ce que je gagnerais à faire des efforts pour aller
mieux. Moi j’aimerais qu’on me sauve ; qu’un événement se passe, qu’il y ait du
changement, un grand grabuge annonçant la nouveauté et son euphorie, toujours
passagère.
Une part de moi sait déjà que la
vie n’a rien d’un film, que le hasard n’existe pas et qu’il n’est pas
d’heureuse coïncidence. Mais l’autre continue d’espérer, dans toute sa naïveté
enfantine. Parfois, la nuit, en rêves saccadés, il m’apparaît de ces fantaisies
de bonheur plein, débordant de tous cotés. Mais le réveil, lui, est d’une récurrence
amère et entêtante. Dehors le monde est terne. Ou alors c’est peut-être moi.
Probablement. J’ai cette fâcheuse tendance à universaliser ma pensée, aussi
médiocre soit-elle. Parce que je suis égocentrique ou totalement seule et
démunie ? Au fond ça ne fait pas la moindre différence. Mon monde à moi il est
dégueulasse, je le vomis et les gens avec, surtout les gens en fait. Je vaux
pas mieux qu’eux mais qu’importe, mon mépris m’appartiens et je le place bien
où j’en ai envie. Je me suis levée ce matin. Il était 14h. Il fait toujours
gris. J’ai pris un bouquin. Je l’ai terminé. J’en ai pris un autre. J’ai rien
de mieux à faire. Il a fallu manger. J’avais pas faim. Enfin si mais j’avais la
flemme. Donc j’avais plus faim. J’ai regardé la boite d’antidépresseur
prescrits par le foutu médecin de garde de l’hôpital merdique qui tombe en
ruine. Comme tout le reste. Rien n’échappe à la destruction permanente de mon
esprit. J’ai déplié la notice. J’aurais pu m’en faire un putain de manteau.
Effets secondaires. Dépression. J’ai ri comme une conne. J’en ai pas pris. Ça
m’avait déprimé tout ce bordel. Paradoxal. Je sais. M’en fous, je dois rien à
personne. Surtout pas le bon sens. Des vagues à l’âme qu’il avait dit le
docteur. Ça m’a emmerdé d’y penser. Alors j’ai allumé la télé. Y’a plus rien à
la télé. Je fais partie de ces snobs rabat-joie qui pensent que c’était mieux
avant. Je regarde plus qu’ARTE. C’est prétentieux. Comme moi. J’aime bien. J’ai
fumé une clope. Puis une deuxième. Après j’ai arrêté de compter. Il était 20h.
J’avais rien fait de ma journée. Il faisait encore jour. C’est ça le truc bien
avec l’été. Les journées sont interminables. On en vit quatre en une. Et si on
fait bien attention, la vie parait presque plus supportable. Je me suis dit que
je pourrais sortir faire un tour. J’avais pas encore tranché sur les médocs. Je
les ai foutus dans mon sac. J’ai enfilé un short large et un débardeur blanc.
Mes cheveux en chignons et mes requins aux pieds je suis sortie. L’air chaud et
étouffant de Marseille m’a enveloppée.
C’est grand une ville quand on
est seul. C’est sans filet. Le grand saut on m’avait dit. Encore un préconçu
sociétal à la con. La vie n’a plus de promesses. Je stagne. J’habite à la mer
et je patauge. La voilà ma réalité de l’indépendance. Je pense trop. Je
m’auto-fatigue à la longue. Quelle merde d’être comme ça. J’ai enfilé mon
casque. Que les voix se taisent, c’était tout. Les premières notes de In
Rainbows ont résonné. Il me fallait de la vraie musique. J’ai remercié le ciel
pour Radiohead. J’y ai repensé. Je crois pas en Dieu. Pas grand intérêt. J’ai
marmonné deux trois trucs sur la connerie de la foi. J’ai fait un doigt au
ciel. Pas de raison particulière. Mais il fallait bien trouver un responsable à
mon état. Alors j’ai tranché pour l’invisible. Plus simple. J’ai déambulé sans
but pendant plusieurs heures au milieu des immeubles du Panier. Quand je m’en
suis rendu compte il faisait déjà nuit. Je voulais voir la mer. C’est apaisant.
J’aime croire qu’elle et moi on se ressemble. Déconstruites. Un amas de
possibilités. Une profondeur indéterminée. Une forme de vie sans notice. Les
gens comprennent pas. Ils comprennent rien. Ils font semblant et sont
satisfaits d’eux mêmes. Moi j’admets que je comprends foutrement rien à ce qui
m’arrive. Je laisse couler. Ou alors c’est moi qui coule. Pas de différence.
Arrivée devant tout ce bleu, seule, je me suis demandé pourquoi j’étais si en
colère contre tout et tout le monde. J’ai pas trouvé la réponse mais j’ai
continué de trouver ça légitime. Moi j’ai qu’elle pour me tenir compagnie. Et
puis si je déteste les autres, je me haïrai peut-être moins. Ce que j’ai oublié
de mentionner c’est que j’ai bien une différence avec la mer. Elle est vaste et
moi je suis à l’étroit en moi-même. Bloquée dans une putain de boite crânienne
antagoniste. Pas d’horizon. Pas de futur. Y’en a pas pour les comme moi. Ou
alors n’ai-je pas de semblable ? Peut-être que la solitude m’a tellement
bouffée de l’intérieur que je sais même plus comment vivre ? Pas de réponse.
J’ai sorti les médocs. J’ai pas pleuré. Pas nécessaire. J’étais guérie.
3e prix, Guénaeël Jangaut, K1, pour Le
Retour à la poussière
Un
courant d’air dans l’obscurité, cherchant à le traîner hors de son mausolée, en
plein air, à la lumière, le réduire dans la mer, en poussière.
Un courant d’air dans l’obscurité.
Ce crétin de majordome avait oublié de sceller la porte d’entrée et voilà dix
mille ans que cela durait… Bien sûr qu’il n’allait pas choper la crève !
mais il craignait que la plèbe ne vienne le déranger. Il a raison de s’en inquiéter,
dans la galerie, sous des toiles sans araignées, on les entend se tortiller, répugnants
sur le carrelage. Eux, ils ont traversé le désert, leur ombre défilant sous les
étoiles. Et les voilà comparaissant soudain devant lui.
“Plastikhenât, nous sommes venus admirer ta majesté, non
pour la blâmer. Nous ne voulons pas te causer de dommages, seulement te rendre
hommage. Non, aucun profanateur ne vient troubler ton sommeil, seulement d’humbles
visiteurs, Gascaride, Melchiombric et Balthicot, rois du forage, que ton fumet
en ces lieux appâta. Nous qui n’avions pour seule ambition que la sape, le
trou, la galerie, nous nous inclinons devant tes puits.” Et en effet, ils n’étaient
que trois, à l’exception de leur cortège, grande famille de vermisseaux, dont
la peau ensablée de grumeaux ne seyait pas de paraître devant un si grand roi.
S’étant approché du gisant, leur syndicat reprend:
“Dire que cet édifice qui nous fait
tant d'impression, n’est qu’un simulacre de ta dimension. Ô pyramide céleste
! accepte notre requête, qui est de te visiter tout entier. Aux colonnes qui
soutiennent ton trône, nous préférons celle qui trône sous ta couronne; à ton
palais garni d’or et de diamants, ton palais garnis d’aphtes et de dents: plutôt
ton corps que ton trésor ! Ô Plastikhenât, laisse en ta grandeur pénétrer
tes admirateurs.”
Mais Plastikhenât, sous ses bandelettes de latex, ne les
craignait point, quand bien même son lit devrait être un buffet, et lui le plat
de résistance. Il méprisait toutes ces viscères affamées à ses pieds. Il était
immortel et comptait bien le rester. Il leva son doigt, fit la moue, et prononça
son décret: “Immortel, je me trouve sans chair dans le trépas; les vers
mourront dans le désert faute de repas.” C’était sa façon à lui, de refuser l’hospitalité.
Mais les vers avaient aussi leur façon de maudire sa vanité: “Les vents assoiffés
du désert, ta cour de poussière, les bains refusés à ton impossible nudité, ont
ton cœur asséché. Un seul de nos baisers t'aurait désaltéré. Mais ne crois pas
que le plastique résiste pour
toujours aux baisers du lombric.”
Ce n’était pas la première fois qu’il
les rencontrait. Déjà du temps où Plastikhenât était le roi du plastique au Moyen-Orient, il voyait la
vermine bosser dans ses locaux, au milieu de ses machines, quémandant du
boulot. Les autres prolétaires foraient dans son désert, creusant ainsi le sol
pour chercher son pétrole. Son usine infestée lui donnait des hauts-le-corps:
il aurait préféré faire du plastique
seul, et ne rien leur laisser, élever lui-même ses propres héritiers.
Mais dans son bureau illuminé,
surplombant la vallée, il vit un jour
par-dessus son plafond de verre un volatile aux ailes atrophiées flotter
dans les airs. Piteusement ballotté, retourné, cahoté, n'atterrissant jamais, c’était
l’un de ses sachets. Lui, patron, surplombé de plastique ! Qu'un infirme domine, voilà de quoi
s'amuser ! Il en admira, rassuré, la pureté, ayant l’assurance que ne
pouvant se livrer à l’anale réjouissance, le sachet d’une fiente ne
l'honorerait. L'étron ne peut lui-même s’étronner, l'œuf ne pond pas plus que
la poule éclot: le sachet ne fait que s’acheter.
Après tout, il lui était inutile d’enfanter : ni la
terre, ni les airs, ni la mer ne lui prohibent la place. Voyez ces
conquistadors de demain ! Successeurs des hommes, ils élèveront des cités, plus
loin que notre bipédie, feront de l'univers leur patrie. Sans défaut, sans félonie,
ils étaient la perfection. Sommet de la création, ils ne sauront ce qu’est la
disparition.
Poète, cesse de dédier tes vers à l'univers : il ne sait
point lire ! Offre-lui du plastique,
cela seul ne se perd, cela seul lui sert ! Produit plastique à profusion pour propulser ta création. La vie éternelle
n'est pas au paradis, elle n'est pas, pharaon, dans ta pyramide ! La vie éternelle
c'est la chirurgie plastique :
fais-toi plastique si tu souhaites
durer! Gonfle ta chair de
silicone, qu'elle ballonne, qu'elle roule, qu'elle rebondisse ! L'éternel
te veut empaillé, caoutchouteux, et ton cerveau, doublement plastique ! Momifié, on dessèche
; plastifié, on transgresse, on traverse, on renverse. Fais-toi maître du
temps, trône sur un impérissable séant ! Alors seulement, débarrassé de ta matière
organique, ni le vent, ni l'océan, ne ravageront tes apparences. Inébranlable
te voici, indifférent aux galaxies.
Et à partir de ce jour, et de cette apparition, il devint
Plastikhenât. Le styrène était sa reine : ils s’empressèrent d'enfanter.
Il ne fut plus question d’humanité, le ver prolétaire n’était plus de cette ère:
on augmenta les cadences, les tapis s’emballaient, à leur sortie le pétrole
prenait son envol dans l'éternité. Et tandis que l’éternel en son usine
advenait, le temps se précipitait. Il était temps d'enterrer l'histoire, qui rampait
encore à l'ombre des mémoires.
On ne voyait plus mourir sa vieille mère, on ne voyait plus
partir ses enfants, mais on vieillissait incontestablement, on n'avait plus le
temps d'être enfant, d'aimer ne serait-ce quelques temps. Ne restaient que les
cicatrices.
Le prolétaire trop vite centenaire, se laissait mourir,
sous le yeux du patron, la barbe au menton, tandis que les femmes accouchaient,
sans sages-femmes, à leur poste, sans que l'on ne leur porte de toast, que
l'enfant enchaîné à sa maman, le cordon au bedon, sans que sa prison ne nécessitât
de maton, reprenait la profession des absents aux bataillons. Et le chevalet de
pompage, suçait aux sous-sols l'ancestral cépage. Tout ce qui fut de
biologique, converti au plastique.
Le jour et la nuit s'étaient faits tous petits. Lui fit à
son usine tout plein de petits. La cadence de l’industrie débordait sur la vie,
condamnée à l'insomnie, privée des lentes heures où au sommeil l'on se laisse dériver.
Les cheminées, de sacs débordaient. Les travailleurs se démenaient en avance
rapide. Une coulée d’emballage forma un rapide. Mais un tuyau fuyait, et bientôt,
ce fut l'usine qui prit l'eau. Du plastique
jusqu'aux hanches, les ouvriers travaillaient toujours. Certains s'étouffaient,
pris dans la masse, d'autres étaient emportés par une nuée vorace. Passaient
au-dessus des continents des nuages menaçants.
Et le désert devint les dunes d'un nouvel océan. Son armée
pénétra les vallées et les villes les océans, les îles, dans les cieux et
l'estomac. Il y avait des méduses à deux anses en milieu aquatique. Il y avait
des latex amphibiens, qui se vautraient dans le limon des tropiques. Et
d'autres en Arctique, glissant au milieu des pingouins qui s'y prenaient les
pattes. Mais partout, ils étaient ses anges, ses chers petits anges. L'humanité
dans des bunkers s'enfermait quand, touchant au zénith, le peuple sacré partit
pour les étoiles.
Et Plastikhenât, admirait sous ce plafond de verre les
contrées atteintes par son don à l'univers, quand son dernier ouvrier périt,
faute d'air, dans l'océan enfanté. L'usine épousée, désormais stérile, lui,
voyant s'approcher l'âge sénile, en accéléré, il comprit qu'il était temps de
se joindre à ses bébés. Tandis qu'on achevait, dans un dernier souffle sa
pyramide d'acier et de verre, au milieu du désert, lui, s'injectait le pétrole
qui devait le préserver. Enfin, son majordome plaça sa momie dans ce mausolée,
où il végétait entre vie et trépas. Le temps était bon à jeter.
Mais l'histoire
murmurait toujours. Et quelque part, dans un sous-sol, là-bas, que l'on ne
remarque pas, l'humanité était toujours là. Elle avait certes un peu changé,
des millénaire l'avaient amputée ici et là, d'une bouche, d'un œil, d'un bras,
d'un nez et de ses vingt doigts. Manchot, Cul-de-jatte, l'humanité, nue,
persistait toujours, creusant ses galeries, à l’abri du plastique, ne sachant que faire de sa faim. Et voilà l'homme
rampant, devant Plastikhenât, peuple de nains face à un colosse millénaire. Le
voilà qui lui hurle : « Réveille-toi vaurien ! Ton rêve d'éternel
prend fin. Il faut te rendre à l'univers et son flot de poussière !
–
Non ! Je ne veux
plus être l'étranger, laissez- moi rêver ! Je vous ferai une place
quelque quelque part dans ma carcasse, hors de ce monde abhorré. »
Mais
les vers, salivaient déjà, et dans l'acide, la pièce se mit à baigner. Le lit
du gisant, rongé, s'affaissait, mettant la momie à leur portée. La voilà aussitôt
peuplée de lombrics, substituant leur chair au plastique, articulant ces membres autrefois plastifiés. Et aussi
bien qu'ils le purent, ils la firent rouler, ramper, puis marcher somnambule,
la tirant jusqu'au vestibule. Alors que les premiers rayons d'un soleil
lointain, tombaient sur le désert, ils lui forcèrent à ouvrir ses paupières.
Ils étaient partout, se livrant au déboire de la salive acidulée. Un carnage
d'emballage. Ses enfants assassinés. Les sachets qui atterrissaient dérivaient
alourdis, englués, pris au piège, digérés. Ceux qui purent s'exiler, partirent à
l'intersidéral. Quant aux autres, agonisant, ils libéraient enfin leur
composant, quittant l'éther pour la terre et ses faméliques êtres
embryonnaires. Il y a toujours un moment où la marée redescend, où tout ce qui
se crut grand, formé au gré du vent, est balayé par une bourrasque.
Des
chrysanthèmes poussaient dans le désert. Le monde reprenait, sous les yeux
plaintifs de Plastikhenât, qui se voyait échoué, traîné hors de son mausolée,
en plein air, à la lumière dans cet univers qui n'était plus sa chimère. Il n'y
aurait plus de plastique.
Sa
dépouille fut conduite à l'air marin, et jetée dans la mer au petit matin. Le
lendemain, il ne fut plus que poussière.
Un courant d’air dans l’obscurité.
Ce crétin de majordome avait oublié de sceller la porte d’entrée et voilà dix
mille ans que cela durait… Bien sûr qu’il n’allait pas choper la crève !
mais il craignait que la plèbe ne vienne le déranger. Il a raison de s’en inquiéter,
dans la galerie, sous des toiles sans araignées, on les entend se tortiller, répugnants
sur le carrelage. Eux, ils ont traversé le désert, leur ombre défilant sous les
étoiles. Et les voilà comparaissant soudain devant lui.
“Plastikhenât, nous sommes venus admirer ta majesté, non
pour la blâmer. Nous ne voulons pas te causer de dommages, seulement te rendre
hommage. Non, aucun profanateur ne vient troubler ton sommeil, seulement d’humbles
visiteurs, Gascaride, Melchiombric et Balthicot, rois du forage, que ton fumet
en ces lieux appâta. Nous qui n’avions pour seule ambition que la sape, le
trou, la galerie, nous nous inclinons devant tes puits.” Et en effet, ils n’étaient
que trois, à l’exception de leur cortège, grande famille de vermisseaux, dont
la peau ensablée de grumeaux ne seyait pas de paraître devant un si grand roi.
S’étant approché du gisant, leur syndicat reprend:
“Dire que cet édifice qui nous fait
tant d'impression, n’est qu’un simulacre de ta dimension. Ô pyramide céleste
! accepte notre requête, qui est de te visiter tout entier. Aux colonnes qui
soutiennent ton trône, nous préférons celle qui trône sous ta couronne; à ton
palais garni d’or et de diamants, ton palais garnis d’aphtes et de dents: plutôt
ton corps que ton trésor ! Ô Plastikhenât, laisse en ta grandeur pénétrer
tes admirateurs.”
Mais Plastikhenât, sous ses bandelettes de latex, ne les
craignait point, quand bien même son lit devrait être un buffet, et lui le plat
de résistance. Il méprisait toutes ces viscères affamées à ses pieds. Il était
immortel et comptait bien le rester. Il leva son doigt, fit la moue, et prononça
son décret: “Immortel, je me trouve sans chair dans le trépas; les vers
mourront dans le désert faute de repas.” C’était sa façon à lui, de refuser l’hospitalité.
Mais les vers avaient aussi leur façon de maudire sa vanité: “Les vents assoiffés
du désert, ta cour de poussière, les bains refusés à ton impossible nudité, ont
ton cœur asséché. Un seul de nos baisers t'aurait désaltéré. Mais ne crois pas
que le plastique résiste pour
toujours aux baisers du lombric.”
Ce n’était pas la première fois qu’il
les rencontrait. Déjà du temps où Plastikhenât était le roi du plastique au Moyen-Orient, il voyait la
vermine bosser dans ses locaux, au milieu de ses machines, quémandant du
boulot. Les autres prolétaires foraient dans son désert, creusant ainsi le sol
pour chercher son pétrole. Son usine infestée lui donnait des hauts-le-corps:
il aurait préféré faire du plastique
seul, et ne rien leur laisser, élever lui-même ses propres héritiers.
Mais dans son bureau illuminé,
surplombant la vallée, il vit un jour
par-dessus son plafond de verre un volatile aux ailes atrophiées flotter
dans les airs. Piteusement ballotté, retourné, cahoté, n'atterrissant jamais, c’était
l’un de ses sachets. Lui, patron, surplombé de plastique ! Qu'un infirme domine, voilà de quoi
s'amuser ! Il en admira, rassuré, la pureté, ayant l’assurance que ne
pouvant se livrer à l’anale réjouissance, le sachet d’une fiente ne
l'honorerait. L'étron ne peut lui-même s’étronner, l'œuf ne pond pas plus que
la poule éclot: le sachet ne fait que s’acheter.
Après tout, il lui était inutile d’enfanter : ni la
terre, ni les airs, ni la mer ne lui prohibent la place. Voyez ces
conquistadors de demain ! Successeurs des hommes, ils élèveront des cités, plus
loin que notre bipédie, feront de l'univers leur patrie. Sans défaut, sans félonie,
ils étaient la perfection. Sommet de la création, ils ne sauront ce qu’est la
disparition.
Poète, cesse de dédier tes vers à l'univers : il ne sait
point lire ! Offre-lui du plastique,
cela seul ne se perd, cela seul lui sert ! Produit plastique à profusion pour propulser ta création. La vie éternelle
n'est pas au paradis, elle n'est pas, pharaon, dans ta pyramide ! La vie éternelle
c'est la chirurgie plastique :
fais-toi plastique si tu souhaites
durer! Gonfle ta chair de
silicone, qu'elle ballonne, qu'elle roule, qu'elle rebondisse ! L'éternel
te veut empaillé, caoutchouteux, et ton cerveau, doublement plastique ! Momifié, on dessèche
; plastifié, on transgresse, on traverse, on renverse. Fais-toi maître du
temps, trône sur un impérissable séant ! Alors seulement, débarrassé de ta matière
organique, ni le vent, ni l'océan, ne ravageront tes apparences. Inébranlable
te voici, indifférent aux galaxies.
Et à partir de ce jour, et de cette apparition, il devint
Plastikhenât. Le styrène était sa reine : ils s’empressèrent d'enfanter.
Il ne fut plus question d’humanité, le ver prolétaire n’était plus de cette ère:
on augmenta les cadences, les tapis s’emballaient, à leur sortie le pétrole
prenait son envol dans l'éternité. Et tandis que l’éternel en son usine
advenait, le temps se précipitait. Il était temps d'enterrer l'histoire, qui rampait
encore à l'ombre des mémoires.
On ne voyait plus mourir sa vieille mère, on ne voyait plus
partir ses enfants, mais on vieillissait incontestablement, on n'avait plus le
temps d'être enfant, d'aimer ne serait-ce quelques temps. Ne restaient que les
cicatrices.
Le prolétaire trop vite centenaire, se laissait mourir,
sous le yeux du patron, la barbe au menton, tandis que les femmes accouchaient,
sans sages-femmes, à leur poste, sans que l'on ne leur porte de toast, que
l'enfant enchaîné à sa maman, le cordon au bedon, sans que sa prison ne nécessitât
de maton, reprenait la profession des absents aux bataillons. Et le chevalet de
pompage, suçait aux sous-sols l'ancestral cépage. Tout ce qui fut de
biologique, converti au plastique.
Le jour et la nuit s'étaient faits tous petits. Lui fit à
son usine tout plein de petits. La cadence de l’industrie débordait sur la vie,
condamnée à l'insomnie, privée des lentes heures où au sommeil l'on se laisse dériver.
Les cheminées, de sacs débordaient. Les travailleurs se démenaient en avance
rapide. Une coulée d’emballage forma un rapide. Mais un tuyau fuyait, et bientôt,
ce fut l'usine qui prit l'eau. Du plastique
jusqu'aux hanches, les ouvriers travaillaient toujours. Certains s'étouffaient,
pris dans la masse, d'autres étaient emportés par une nuée vorace. Passaient
au-dessus des continents des nuages menaçants.
Et le désert devint les dunes d'un nouvel océan. Son armée
pénétra les vallées et les villes les océans, les îles, dans les cieux et
l'estomac. Il y avait des méduses à deux anses en milieu aquatique. Il y avait
des latex amphibiens, qui se vautraient dans le limon des tropiques. Et
d'autres en Arctique, glissant au milieu des pingouins qui s'y prenaient les
pattes. Mais partout, ils étaient ses anges, ses chers petits anges. L'humanité
dans des bunkers s'enfermait quand, touchant au zénith, le peuple sacré partit
pour les étoiles.
Et Plastikhenât, admirait sous ce plafond de verre les
contrées atteintes par son don à l'univers, quand son dernier ouvrier périt,
faute d'air, dans l'océan enfanté. L'usine épousée, désormais stérile, lui,
voyant s'approcher l'âge sénile, en accéléré, il comprit qu'il était temps de
se joindre à ses bébés. Tandis qu'on achevait, dans un dernier souffle sa
pyramide d'acier et de verre, au milieu du désert, lui, s'injectait le pétrole
qui devait le préserver. Enfin, son majordome plaça sa momie dans ce mausolée,
où il végétait entre vie et trépas. Le temps était bon à jeter.
Mais l'histoire
murmurait toujours. Et quelque part, dans un sous-sol, là-bas, que l'on ne
remarque pas, l'humanité était toujours là. Elle avait certes un peu changé,
des millénaire l'avaient amputée ici et là, d'une bouche, d'un œil, d'un bras,
d'un nez et de ses vingt doigts. Manchot, Cul-de-jatte, l'humanité, nue,
persistait toujours, creusant ses galeries, à l’abri du plastique, ne sachant que faire de sa faim. Et voilà l'homme
rampant, devant Plastikhenât, peuple de nains face à un colosse millénaire. Le
voilà qui lui hurle : « Réveille-toi vaurien ! Ton rêve d'éternel
prend fin. Il faut te rendre à l'univers et son flot de poussière !
–
Non ! Je ne veux
plus être l'étranger, laissez- moi rêver ! Je vous ferai une place
quelque quelque part dans ma carcasse, hors de ce monde abhorré. »
Mais
les vers, salivaient déjà, et dans l'acide, la pièce se mit à baigner. Le lit
du gisant, rongé, s'affaissait, mettant la momie à leur portée. La voilà aussitôt
peuplée de lombrics, substituant leur chair au plastique, articulant ces membres autrefois plastifiés. Et aussi
bien qu'ils le purent, ils la firent rouler, ramper, puis marcher somnambule,
la tirant jusqu'au vestibule. Alors que les premiers rayons d'un soleil
lointain, tombaient sur le désert, ils lui forcèrent à ouvrir ses paupières.
Ils étaient partout, se livrant au déboire de la salive acidulée. Un carnage
d'emballage. Ses enfants assassinés. Les sachets qui atterrissaient dérivaient
alourdis, englués, pris au piège, digérés. Ceux qui purent s'exiler, partirent à
l'intersidéral. Quant aux autres, agonisant, ils libéraient enfin leur
composant, quittant l'éther pour la terre et ses faméliques êtres
embryonnaires. Il y a toujours un moment où la marée redescend, où tout ce qui
se crut grand, formé au gré du vent, est balayé par une bourrasque.
Des
chrysanthèmes poussaient dans le désert. Le monde reprenait, sous les yeux
plaintifs de Plastikhenât, qui se voyait échoué, traîné hors de son mausolée,
en plein air, à la lumière dans cet univers qui n'était plus sa chimère. Il n'y
aurait plus de plastique.
Sa
dépouille fut conduite à l'air marin, et jetée dans la mer au petit matin. Le
lendemain, il ne fut plus que poussière.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire